Hérédité

Date de sortie 17 Octobre 2018 (2h 06min)

 

Nationalité américain

 

Lorsque Ellen, matriarche de la famille Graham, décède, sa famille découvre des secrets de plus en plus terrifiants sur sa lignée. Une hérédité sinistre à laquelle il semble impossible d’échapper.

Quand les traumas paranoïaques de Polanski épousent l’habilité de la nouvelle garde du cinéma surnaturel, le résultat est épatant d’effroi et de maîtrise. Hérédité relève d’un cinéma monstrueux et déviant, de ceux font date. Terreur psychologique et graphique garantie.Vendu en France avec un buzz épatant, la nouvelle production A24 (It comes at night, The Witch) porte véritablement en elle l’espoir du renouveau horrifique ; on en attend donc forcément, en entrant dans la salle, une claque douloureuse, une nouvelle date du cinéma de genre, celle à laquelle sa réputation sulfureuse nous a préparés.
Banco, on y est…

Se présentant comme un effroyable drame familial où le deuil, traumatisant, s’insinue lentement, telle une dépression flegmatique qui vient à glacer les sangs, ce premier film virtuose d’Ari Aster tient beaucoup, dans son approche auteurisante, au succès des grandes œuvres délicieusement absconses des années 70, où la terreur surgissait d’un quotidien morne, où la paranoïa dévastait les méninges, ébranlait la raison et clouait les spectateurs à leurs fauteuils. Aussi, la parenté avec les œuvres de Polanski comme Rosemary’s Baby ou Le Locataire, mais aussi le Possession de Zulawski, est évidente.

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On retrouve le génie de ces œuvres fondatrices dans la virtuosité de la réalisation qui accompagne solidement les mécanismes de l’angoisse, avec un sens de l’espace, une fluidité des plans, qui donnent du sens au point de vue de la caméra, où rien ne paraît jamais gratuit, même quand l’horreur se montre explicite. L’architecture solide ne fait pas table rase du passé pour bâtir son impressionnant climat de déliquescence psychologique. Ari Aster croit autant à l’intensité de la terreur cérébrale que ses prédécesseurs : l’on citera parmi les prophètes du genre, David Lynch, Aster accouchant pour son premier long a l’écran de ce qu’il y a de plus revigorant : une œuvre libre, qui sait se défausser des formules élémentaires pour s’avancer dans une narration courageuse. La réalisation audacieuse nous invite progressivement à sombrer dans un sentiment de folie collective où notre résistance, en qualité de spectateur, est inexorablement attaquée. Tous nos a priori disparaissent quand le fantastique, tortueux et douloureusement graphique, se déploie en séquences hallucinantes, où l’on ne sait plus trop quoi croire.

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L’intérêt majeur pour le spectateur réside à trouver dans les pulsions de peur et d’horreur, le plaisir malsain que le genre, quand il touche au sublime, peut procurer. L’auteur Ari Aster reconstruit le genre que l’on croyait gangrené par son rapport marchand au public adolescent ; pourtant il sait aussi utiliser les effroyables codes d’un James Wan quand il est à son meilleur, dans l’implication du surnaturel et des présences maléfiques, lors des scènes les plus ténèbreuses. Mais contrairement au cinéaste de Conjuring, ce nouveau génie dans la mise en abyme des émotions dépressives, livre une œuvre complexe, d’une maturité remarquable, finalement bien plus folle qu’un Get out, qui, par certains moments, se rabaissait à quelques formules éculées (la gentille copine qui se transforme en dix secondes en la plus féroce des garces).
Excellent directeur d’acteurs, Aster compose avec un casting de premier choix. Toni Collette, que l’on connaissait bien entamée dans la série United States of Tara, où elle multipliait les personnalités contraires, est ici effroyablement atteinte. Elle mériterait bien une nomination aux Oscars, pour son incarnation de Mater Dolorosa accablée, dont on suit la chute dans l’irrationnel, palier par palier. Elle est absolument formidable. Il s’agit peut-être même de sa plus grande prestation, offerte à l’environnement malfaisant et sinueux d’un microcosme d’épouvante, où l’on se régale de se perdre sans jamais savoir où cette histoire tortueuse va aboutir, si ce n’est, et l’on ne trahira pas le film en le suggérant, à un paroxysme de folie et d’horreur dérangeante.
Un chef-d’œuvre.